Avenir de l’œcuménisme !
Par le Père Emmanuel Gougaud
Quel est l’avenir de l’œcuménisme ? Après tout, la question n’est pas si incongrue. En effet, les différentes Églises ne sont plus dans l’hostilité ni même dans l’ignorance réciproque. Au contraire, elles vivent des rencontres, des partages, des solidarités. Elles expérimentent leurs différences désormais perçues comme non séparatrices. Cet état actuel est déjà satisfaisant, comparé aux ruptures du passé. Alors pourquoi ne pas se satisfaire de ce statu quo ?
La réponse réside dans une autre question : qu’est-ce qui constitue le peuple chrétien ? D’habitude, un peuple se constitue à travers deux choses : un héritage commun et un projet commun. Qu’est-ce qui fait que les chrétiens sont un peuple ? Il ne s’agit pas d’héritages culturels ou de critères politiques ou sociaux. L’apôtre Paul, vingt ans après la Résurrection du Christ, explique aux Corinthiens : « Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain » (1Co 10,17). À bien y réfléchir, il s’agit d’une affirmation extraordinaire ! Ce n’est pas parce que nous commémorons le souvenir du Christ que nous sommes l’Église. C’est parce qu’un seul corps est donné qu’un seul peuple est constitué. Un seul pain donné constitue un corps. C’est donc Dieu qui fait l’Église. Dieu prend l’initiative de rassembler les chrétiens en un seul corps. Ce qui fait l’Église ne sont pas nos idées, nos projets, ce n’est pas ce que nous pensons. Jésus veut être lui-même le lien entre les membres. Nous devenons le Corps réel du Christ dans le monde afin d’anticiper et d’accélérer l’unité de toute la famille humaine. Ainsi, la communion d’amour du Père et du Fils et du Saint-Esprit sera présente en plénitude dans la création. Dieu sera tout en tous. Voilà pourquoi le statu quo œcuménique n’est pas possible ! Tant que les chrétiens ne peuvent pas encore communier ensemble au même pain, le Corps reste brisé. La réconciliation de l’humanité n’est pas encore réalisée. Dieu n’est pas encore tout en tous.
Ce numéro 203 d’Unité des chrétiens invite à réfléchir au drame et aux méfaits du racisme. Il y est présenté comme la tyrannie du même. Les chrétiens savent que le racisme est un péché affreux. Antithèse de l’Église, il est comme une anti-communion trinitaire. Aussi, les Églises doivent être particulièrement vigilantes pour traquer, débusquer, combattre, éradiquer toutes les formes vicieuses et insidieuses de racisme en leur sein. Les chrétiens doivent avoir le courage d’interroger leurs manières de penser et de vivre pour y déconstruire une conception du monde basée sur des critères de races et de hiérarchies. Cela est d’autant plus nécessaire aujourd’hui. En effet, internet, les réseaux sociaux, la mondialisation exacerbent l’amour du semblable, la peur et le blocage de l’autre, la tyrannie du même. La pandémie risque de développer une culture du repli sur soi et de l’ostracisme. À cet effet, l’œcuménisme est encore plus nécessaire aujourd’hui. Il est une des formes de la lutte contre racisme. Enracinée dans la communion de la Trinité, l’unité des chrétiens se vit par la réconciliation des diversités. Les autres chrétiens ne sont pas des étrangers ou des menaces mais des dons offerts par Dieu pour nous rapprocher de Lui. L’œcuménisme cultive et développe l’admiration et l’amour de l’autre, à l’imitation des Personnes divines.
Arrivant à la fin de ma mission de rédacteur en chef de cette revue et de directeur du Service pour l’unité des chrétiens à la Conférence des évêques de France, je signe pour la dernière fois l’éditorial de cette revue avec une grande émotion. Plus grande encore est ma gratitude pour ces six années extraordinaires. Plus formidable encore est mon espérance, partagée avec vous tous, du grand avenir de l’œcuménisme !